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Channel: Noria : Voyage de la France au Laos en 2CV. De l'Eau et des Hommes » Népal
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L’Inde des détours

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Lundi 25 août 2008, Inde


A 6 heures, la rue est aussi déserte qu’elle était peuplée hier soir. Nous rejoignons la maison du vieil homme où Rustine a passé la nuit. Nous y trouvons Ali, son fils, qui nous précède dans l’escalier. C’est avec grande surprise qu’un petit déjeuner nous attend sur la petite table de la plus grande salle : chai, omelette, toasts. Importante famille musulmane de la région, la généreuse famille voulait se rattraper de ne pas nous avoir pu nous proposer de chambre. Belle compensation.
La qualité de la route est en pointillé. A plusieurs centaines de mètres d’asphalte – que nous aurions espéré infinis-, succèdent immanquablement des portions chaotiques. Autour de nous, les champs sont noyés sous plusieurs mètres d’eau qui atteignent les seuils des maisons. Les portes sont à moitié englouties. Le long de la chaussée qui trône sur des digues de remblais, le grain est étalé pour le séchage. Les villageois ont ce regard évasif qui évoque une vie difficile. Les enfants ne connaissent que le travail des champs.
En fin d’après midi, nous atteignons Malda, dernière localité avant la frontière du Bangladesh. Aucun panneau ne signale pourtant le poste douanier. Nous avons bien du mal à trouver le petit chemin de terre qui, demain, nous y mènera.
En attendant, nous nous mettons enquête d’un bivouac ou d’un toit où nous pourrons passer la nuit. Les seules chambres du coin sont proposées par un hôtel éclatant qui borde la route et fait face aux vastes rizières frontalières. Le tarif de l’établissement dépasse nos espérances les plus audacieuses : quelques dollars seulement pour une chambre admirable donnant sur un petit bassin de lotus. N’ayant jamais pu nous permettre un luxe pareil nous sautons sur cette occasion inespérée en ce lieu perdu. Exténués, nous nous effondrons sur notre grand lit pour une dernière nuit indienne.


Dimanche 24 août 2008, Inde


6h. Nous ignorons le bakchichs demandé par notre interlocuteur, mais notre passeport est toutefois tamponné. Rassurés mais fatigués, nous reprenons la route d’où nous venons. Ne supportant plus les ornières et les cassis, le châssis plie une fois de plus. Nous faisons halte chez un atelier de soudure qui renforce tant bien que mal la partie fragile mainte fois réparée auparavant. La route est longue. Les bocages inondés par les pluies saisonnières se sont anormalement gorgés des inondations causées par les dégâts de la Koshi, en amont.


Les villages sont d’une beauté incontestable, mais assombris par une pauvreté flagrante. Ici, pas de téléphone, pas de voiture, pas de télé. Les chevaux atelés, pourtant rares en Inde du fait de leur absence d’immunisation aux menaces parasitaires locales, font ici leur apparition.


Nous arrivons au cœur du Bihar en pénétrant dans la petite ville de Khagaria. Il fait déjà nuit depuis quelques heures mais le centre est encore bondé. Ce petit patelin présente tout de ce qui peut y avoir de plus déplaisant. Elle se résume à une rue sordide voilée par une poussière ocre en perpétuelle suspension. Les sourires sont rares et les conversations difficiles. Une foule de passants patibulaires ricanent bruyamment et se succèdent dans une ronde sinistre autour de la voiture.
Exceptionnellement pour cette nuit, nous serions rassuré de savoir Rustine à l’abri des regards et de la foule. Au hasard de la rue, nous nous engageons dans une court dont la grille est entrouverte afin de solliciter une petite place du jardin pour y garer notre voiture. Nous y trouvons un vieux monsieur, assis en tailleur sur son lit de corde, s’aérant d’un éventail en palme. Nous lui faisons part de notre requête. En nous servant un verre de jus de tamarin, il nous invite à nous assoir et, dans la lueur d’une lampe à pétrole, nous affirme qu’il serait ravi de nous rendre ce service.
- « Il est déjà tard. Où dormez-vous ce soir ? »
- « Nous n’en savons trop rien. Nous trouverons bien une chambre en bas de la rue !? »
- « Vous pourriez dormir ici, mais nous souffrons dans le quartier de perpétuelles pannes de courant. Votre nuit sera probablement moins agitée avec cette chaleur accablante si vous trouvez un toit vers le centre »
Comprenant qu’il s’agit pour lui d’une question d’honneur (comment inviter des étrangers dans une maison sans électricité ?), nous décidons de ne pas révéler que l’inconfort ne nous fait pas peur. Nous prenons congé en le remerciant et descendons la rue à la recherche d’une chambre.
Dissimulé par la nuit, qu’il est bon de errer dans ces villes oubliées des cartes, et confondre sa silhouette parmi les habitants qu’il ne se doute pas un instant de notre présence.

Samedi 23 août 2008, Népal, Inde


Le soleil de ce matin est orangé, velouté. Autour de la pompe à main, le moment de toilette est partagé avec les filles de nos hôtes qui se préparent pour l’école et le collège.
Il nous faudra près de deux heures de route pour que, vers 8h, une masse sombre surgissent au loin. Des silhouettes se dessinent. Ce sont des maoïstes. Malgré l’épaisse fumée noire qui s’échappe de quelques pneus mis à feu, la manifestation ne semble pas violente. Nous sommes tout près du barrage endommagé et de la Koshi River. Si nous étions préparés aux difficultés que posait la catastrophe naturelle, nous n’aurions pu nous douter de cet incident politique. Les hommes nous bloquent la route et nos compagnons d’infortunes, transpirant à grosses gouttes dans leurs camions et leurs bus, nous affirment qu’ils ne comptent plus les heures qui se sont écoulées depuis leurs arrivées. Un spectateur est vêtu d’une chemise dont la poche laisse apparaître un stylo. C’est un précieux détail pour celui qui cherche à se faire expliquer une situation délicate : ici comme partout, le stylo est symbole d’alphabétisation et, parfois, de la connaissance de rudiments d’anglais. Ça ne loupe pas. Notre interlocuteur nous affirme qu’il faudra des heures encore pour que les manifestants libèrent l’unique voie pour l’est. « Même si vous faites du charme à ces furieux, vous vous retrouverez bloqué par la rivière Koshi. Le barrage était l’unique moyen de la franchir en voiture. Il faudra des mois pour que les autorités prennent les mesures nécessaires à la réparation. ».
Ces nouvelles ne nous enchantent guère. Elles signifient que nous ne pouvons poursuivre de ce coté de la frontière et rejoindre Darjeeling comme nous l’avions prévu. Aucune des frontières indo-népalaises des environs ne possède de bureaux d’immigration, seules institutions habilitées à nous tamponner nos passeports. Elles signifient qu’il nous faudra reprendre les effroyables pistes du Bihar indien et rouler plusieurs jours supplémentaires pour atteindre la frontière du Bangladesh.
Nous décidons de tenter malgré tout la frontière la plus proche. Nous quittons le Népal par une étroite digue de sable bordée de rizières. Il nous faudra plus d’une heure pour abattre les 10 kilomètres qui nous séparent du placard à balais qui sert de poste de douane. Gardiens de l’ennui, les fonctionnaires népalais, flottant dans leurs uniformes, sont ravis de l’attraction qu’incarne notre passage. Ils nous offrent le thé et assouvissent leur curiosité par un interrogatoire bon-enfant. Peu importent nos réponses, la seule singularité de notre présence suffit.
Du coté indien cependant, l’inflexibilité des agents confirment nos inquiétudes. « Nous n’avons pas les moyens d’officialiser votre entrée en Inde, et jusqu’à ce que vos passeports soient cachetés, votre présence dans le pays restera illégale. ». Nous leur expliquons avec un désarroi exagéré que nous ne possédons pas de visa vierge pour le Népal, nous sommes contraints de demeurer maintenant de ce coté de la frontière. « Faites ce qu’il vous semble bon de faire. Nous ne vous avons pas vu. ».


Nous devrons pourtant présenter ce tampon d’entrée à la douane de sortie coté Bangladeshi. Nous décidons de prendre le risque de nous rendre au bureau d’immigration le plus proche. De très longues heures de route nous séparent de la prochaine frontière indo-népalaise, celle de Raxaul. Elles seront d’autant plus éprouvantes qu’il nous faut rebrousser chemin vers l’ouest, et convaincre les douanes de là-bas que malgré notre arrivée coté indien nous sollicitons un tampon d’entrée. Sans compter le trajet inverse.
Le moral est au plus bas. Nous nous engageons sur la piste.
Après 14h de route sans pause, nous trouvons à Raxaul un douanier qui, malgré la nuit bien entamée, accepte de nous écouter. Il nous donne rendez-vous demain à la première heure pour nous attribuer notre sésame.

Vendredi 22 août 2008, Népal


Nous quittons la vallée de Kathmandu. Nous avons appris ce matin qu’un barrage gigantesque, sur le fleuve Koshi, a cédé sous le poids des eaux de la mousson. Plusieurs dizaines de milliers de népalais et d’indiens en aval, ont été déplacés. Le nombre des victimes est encore incertain. Cet important cours d’eau prend sa source dans les hauts sommets Himalayens, au pied de l’Everest. Il parcourt le pays du Nord au Sud et, après avoir traversé la plaine du Téraï oriental, poursuit sa course dans l’état indien du Bihar. Le barrage était-il l’unique moyen de franchir le fleuve ? Nous décidons de garder notre cap et d’apprécier sur place les éventuelles solutions alternatives.
Rustine semble en forme. En franchissant le col de Simbhanjyang, nous faisons halte dans une petite gargote qui dégage de douces effluves de marijuana. Comme dans de nombreux foyers villageois, le cannabis est cultivé à petite échelle autour des maisons de bois.


Nous bifurquons au niveau d’Amlekhganj et récupérons la Mahendra Highway qui s’échappe vers l’est, profitant de la plaine pour s’offrir une folle course rectiligne.
Dans un petit patelin absent sur nos cartes, une famille loue une chambre dénuée de confort mais pleine de charme. De son étroite fenêtre, nous apercevons les maîtresses de maison du chalet voisin mettant au grand air le linge précédemment battu à l’eau fraîche des montagnes. Le voisin nous sert une assiette de momo et de buffle séché. Le repas fut frugal mais parfumé.
De retour dans notre petite cellule, la chaleur est suffocante. De l’Iran à la Birmanie, les toits plats des maisons sont de véritables lieux de vie…et de songes. Nous déroulons nos sacs à viande sous les étoiles. Les langoureux vols de lucioles viennent se mêler aux étoiles.


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